AU PLUS PRES

AU PLUS PRES : PHILIPPE DJIAN / CATHERINE MOREAU

AU PLUS PRES
Entretiens avec Catherine Moreau

Editions
la passe du vent

ISBN
2-84562-000-4

Date de parution : Septembre 1999
EXTRAITS

Miroirs - Extraits

La plupart de vos livres, en mettant en scène l'écrivain comme être "vivant" qui peut faire autre chose qu'écrire, ont certainement contribué à changer, en France, la vision de l'écrivain...

Ca l'a peut-être changée en France. Mais pour moi, c'était quelque chose de tellement normal et naturel chez les écrivains que je lisais à l'époque... J'étais très anglo-saxon dans mes choix et dans l'intérêt que je portais à la littérature. C'était toujours des auteurs américains, anglais de temps en temps.... Mais c'était des gens qui avaient des vies. Les écrivains français me semblaient des espèces d'ectoplasmes, à part certains, bien sûr... De temps en temps il y avait un Malraux qui faisait quelque chose, mais la plupart du temps les écrivains en France, étaient des gens qui faisaient un petit circuit dans certains arrondissements parisiens, qui n'en bougeaient pas, qui n'étaient rien d'autre que des littérateurs, et qui ne m'intéressaient pas du tout.


Le fait est que, tout à coup, on ne percevait plus l'écrivain de la même manière.
C'était un peu faire descendre l'écrivain de son piédestal. Les écrivains sont des gens qui doivent être dans la vie, qui doivent participer au quotidien des autres. En France, la littérature se place très haut, c'est la reconnaissance suprême. Un président de la République n'est pas content tant qu'il n'a pas fait son bouquin. Alors qu'aux Etats-Unis, c'était des gens qui avaient été magasiniers, pompiers, et qui trouvaient la matière de leurs romans dans leur vie, pas simplement dans une espèce de monde intérieur et mental. C'était des gens qui vivaient comme les autres et qui arrivaient à transmettre... C'est bien là ce qui m'a intéressé dans la littérature : comment rester au plus près de ce que je ressens, de ce que j'éprouve. Comment, par le style, on arrive à rester très précis et très aigu. Les écrivains sont intéressants parce qu'ils sont comme vous et moi. S'ils ont été touchés par la grâce, ça n'a plus tellement d'intérêt. Si j'ai été fou, à l'époque, d'Henry Miller (que j'aime toujours), c'était parce que c'était quelqu'un qui, quelque part, vivait de la même façon que moi, même si on n'avait pas les mêmes expériences. Encore une fois, ce qui m'intéressait chez ces écrivains, c'est que c'était des gens vivants, et peut-être des gens comme tous les autres mais qui avaient une espèce de talent à traduire ce qu'ils vivaient... bien qu'en fait l'intérêt ne se situait pas dans ce qu'ils vivaient mais dans la manière dont ils le retranscrivaient... l'important n'était pas l'expérience en soi. Chez Malraux, ce n'était pas ce qu'il avait vécu pendant la guerre d'Espagne qui m'intéressait, c'était la manière dont il le disait.

Donc, en même temps, c'est l'écrivain qui se dévoile...
Sauf que l'on peut penser que plus on se dévoile, plus on se voile en fait, plus on se cache ; c'est un peu faire la part du feu. Plus j'en mets en avant, plus je peux en garder secret. Car est-ce que c'est là l'intérêt, que de se dévoiler au plus ? Je ne sais pa. Je ne crois pas que l'intérêt de l'écriture soit d'aller se dénuder le plus possible.
 

Suite

SOMMAIRE - SOMMAIRE DOCUMENTS