Un événement de taille est survenu dans sa vie. Il a vingt-cinq ans. Il vient de rencontrer une femme, Année, qui veut être peintre. Un an plus tard, un premier enfant naît. Un fils prénommé Loïc. Philippe Djian vient de vivre son premier quart de siècle à Paris dans le 10e arrondissement. Pour son enfant, il ne veut pas rester dans la capitale. Il part avec sa femme et son fils près de La Ferté-Bernard, près du Mans, où il trouve du travail comme péagiste sur l'autoroute. Il profite des nombreux loisirs que lui laisse cet emploi pour, dans sa guérite, recommencer à écrire. Il se lance des défis : de 3 pages à 20 pages. De l'article à la nouvelle, puis de 20 pages à 300 pages. Entre deux clients, comme d'autres écoutent la radio ou tricotent, Djian tape à la machine 50 contre 1, une douzaine de nouvelles. Il compose un manuscrit parfait, sans une faute et l'envoie en 1978 à tous les grands éditeurs. C'est alors que lui revient le souvenir de Jean Denoël. Il lui porte immédiatement son manuscrit. Hélas, Jean Denoël est mort. Djian laisse néanmoins son manuscrit à Christiane Baroche qui est membre du comité de lecture de la librairie Gallimard. La maison refuse de publier le livre. Réponse de Gallimard : vous vous situez en dehors de la littérature. Le manuscrit passe de mains en mains et tombe dans celles d'Anne Gallimard qui recrute des talents. Convaincue, elle fait tant et si bien que le livre finit par être publié en 1981 par BFB, la maison qu'ont créée à leurs initiales les deux Bernard, Barrault et Fixot. Avec une partie de l'argent obtenu, il retape sa propre maison, une maison en pierre : travail de fourmi : 20 cm de construction par jour. Cela lui enseigne la patience pour ses livres. Plus rapide que les éditeurs, la littérature l'a cependant déjà rattrapé. Les bras rendus douloureux par la maçonnerie, il écrit Bleu comme l'enfer. On raconte que le jour où Bernard Barrault lui téléphona pour lui annoncer que ses nouvelles seraient publiées et que, par conséquent, sa présence était requise à Paris, Djian aurait répondu qu'il avait un chantier sur les bras qui ne pouvait attendre. Bernard Barrault n'eut d'autre alternative que de se plier aux bizarreries de ce maçon littéraire. Bernard Barrault, seul, publie ensuite le premier roman de Djian, dans un rapport de confiance que rien n'entache, ni l'éloignement de l'auteur, ni les contrats d'édition. Philippe Djian aspire désormais à vivre de ses livres. Il lui faudra donc attendre 1986 et l'adaptation au cinéma de 37.2, le matin par Jean-Jacques Beinex. Avant lui, Yves Boisset avait acheté les droits cinématographiques de Bleu comme l'enfer et en avait fait un film. Avec le succès de 37.2 au cinéma (800.000 entrées en 3 semaines) et les retombées que cela suppose sur la vente de ses livres, Philippe Djian trouve pour une bonne décennie au moins le moyen de bien gagner sa vie, de nourrir les siens et la famille littéraire de son éditeur. Il s'installe à Biarritz, en 1985, dans un pavillon résidentiel car il est tombé amoureux du Pays basque, de l'Atlantique et des cultures mêlées. C'est là qu'il écrira plusieurs livres. Pour ses quarante ans, Djian émigre aux Etas-Unis. Il s'installe dans une petite île au large de Boston. Puis il commence à moins supporter Boston. Il émigre à nouveau, pour l'Italie cette fois.
|