EXTRAITS MAUDIT MANEGE

 
J'éprouvais une admiration sans bornes pour ces types qui trouvaient le moyen de vous descendre en quelques phrases, qui vous coupaient la respiration, l'ennui c'est qu'ils étaient tous à moitié cinglés.

Ils ont de la chance, ceux qui se consument de l'intérieur, ils brillent d'une belle lumière, on les reconnaît plus facilement.

Les gens de cette espèce n'en finissaient pas de m'étonner, j'éprouvais une sorte d'amour pour eux, pour cette manière qu'ils ont de résister sans réfléchir, pour cette affirmation de la vie face au néant total si j'ose dire, pour cette désarmante facilité qu'ils ont à regarder les choses en face.

Pour moi, c'était une manière de saluer tout ce qui était en lui, je raconte pas des blagues, n'importe qui aurait pu sentir qu'il était habité par une force étranger et j'étais bien placé pour savoir de quoi il retournait.

J’éprouvais une admiration sans bornes pour ces types qui trouvaient le moyen de vous descendre en quelques phrases, qui vous coupaient la respiration l’ennui c’est qu’ils étaient tous à moitié cinglés.

Enfin ce que je voyais, c’était qu’un écrivain pouvait encore préparer le repas du soir, tandis qu’un poète, c’était tout juste bon à glisser les pieds sous la table.

Bien sûr, j’avais pu remarquer à quelques signes que j’étais plus tout jeune, mais quarante ans c’était quand même pas le bout du monde, et pour dire la vérité, on ne peut jamais être tout à fait sûr qu’on a vécu ses plus belles années.

Il paraît que tous les écrivains ne sont pas capables de faire ça, mais je ne suis pas étonné, il y a toujours des types pour se trouver en dessous du strict minimum dans n’importe quelle branche, ils sont là uniquement pour vous faire chier.

J’ai toujours gardé un souvenir très précis de cette scène. Sa tristesse est d’un parfum sans nom.

Quand on voit un éclair déchirer le ciel bleu, on se demande toujours si on a pas rêvé. Et puis il me suffisait d’imaginer toutes les merdes qui peuvent dégringoler sur la vie d’un homme pour me sentir épargné.

Bien sûr, la Mercedes me rappelait certains souvenirs mais j’avais rien contre ça. Ce n’était pas comme ces saloperies de photos sous verre ou comme si j’avais gardé une mèche de cheveux comme un con, c’était quelque chose de plus naturel.

On pouvait encore profiter de la lumière du jour, et pourtant la ville s’éclairait, les lampadaires brillaient dans le ciel mauve et l’ambiance générale rayonnait d’un charme étrange.

Marlène avait le regard de quelqu’un qui a vu défilé pas mal de choses dans sa vie, ce qui donnait à son visage un éclat particulier, une beauté légèrement tragique, et le pire de tout, elle le savait.

La liste des choses qui valent la peine dans cette vie se réduisait de jour en jour, ça permettait de concentrer ses forces et de voir les trucs arriver d’un peu plus loin.

J’avais pratiquement perdu tout espoir, mon dégoût du monde l’emportait sur mon amour du monde, parfois je restais la journée entière sans prononcer un seul mot, ma mémoire ne remontait plus très loin dans mon enfance, je m’amusais d’un rien, j’avais déjà jeté un œil sur la profonde, la délirante, l’effroyable solitude qui vous étreignant lorsque vous alliez au fond des choses, les types qui parlaient trop me faisaient chier.

Je n’arrivais pas à savoir si ce genre de plaisir ne venait qu’avec l’âge, mais il me semblait que ça allait en augmentant et je ne me souvenais pas d’avoir éprouvé de tels sentiments à l’époque où j’avais vingt ans, quand je pouvais rester plusieurs jours sans manger et sans dormir, l’époque où je me croyais plongé dans un monde merveilleux.

Tout était disproportionné mais à la longue, on s’y habituait et on se tenait prêts à recevoir une nouvelle leçon à chaque fois. J’en suis venu à considérer que c’était une bonne attitude à adopter dans la vie. Car rien n’est jamais joué comme on peut le vérifier tous les jours.

J’en ai voulu à la vie d’être ce qu’elle était, si bêtement évidente, si étonnamment brutale.

A première vue, ma réaction me paraissait étrange, mais plus le temps passait et plus je m’enfonçais dans un monde mystérieux, plus mes certitudes s’ébranlaient, et je me demandais parfois à quoi rimait le trajet parcouru si l’on devait ainsi tout réapprendre, si chaque matin s’étendait sous vos yeux une région inconnue, un désert nouveau.

S’enchaîner au lieu de se libérer, voilà ce qu’on fabriquait, voilà à quoi la vie se réduisait.

J’aimais bien jouer avec leurs cheveux pendant que le monde se déglinguait dehors, et bien qu’une effrayante et inévitable solitude soit notre lot à tous, j’en arrivais à l’oublier et je me payais des instants d’une douceur extrême.

La seule vraie folie dans cette vie, c’est de passer à coté de la Beauté.

Est-ce qu’un livre pouvait donner du courage, est-ce que des mots mis bout à bout pouvaient suffire à remplir toute une vie ?

Il y a toutes sortes de femmes et il y a celles qu’on aime, je veux dire celles qui t’inspirent de l’amour avant tout et c’est une vraie bénédiction, quoi qu’il arrive, que tu les prennes, qu’elles te jettent ou que tu les jettes, qu’elles te fassent grimper au ciel ou qu’elles te déchirent le cœur, que tu les épouses ou que tu les divorces.

J’aurais été stupide de penser que ça me coûterait trois fois rien, mais je ne m’imaginais pas être aussi copieusement servi.

Je me sentais simplement très fatigué. Ce sont des choses qui arrivent quand on atteint le milieu de sa vie et que la pression devient trop forte. Toute ma colère s’était évanouie, tout était silencieux et sans forme.

Rien n’était plus écœurant que ces gens qu’on avait tirés du lit. Voilà pourquoi je ne suis pas du matin, j’ai horreur de voir ça.

Mais quand on a quelques convictions dans la vie, il faut s’attendre à en subir les conséquences.

Mais comme les jours menaçaient de ressembler aux jours et que le moindre espoir était une pure folie, je compris que je n’avais plus rien à perdre et me sentis prêt à essayer tout ce qui me tombait sous la main.

Je n’y pouvais rien, je n’avais plus en moi les forces nécessaires et le spectacle de ma faiblesse, de mon incapacité à lui donner ce qu’elle méritait, m’était une autre source de tristesse, un autre sujet de désolation.

Les hommes qu’on aime le plus ne sont pas forcément ceux avec qui on reste. Ca serait trop simple.
 

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