LES
HEROS DE "SOTOS", LE DERNIER ROMAN DE PHILIPPE DJIAN (GALLIMARD) S'ANIMENT
DANS LES FLAMMES DU DESIR. L'AUTEUR, LUI, VIT DEPUIS VINGT-DEUX ANS AVEC
ANNEE, LA MERE DE SES ENFANTS.
RENCONTRE AVEC UN HOMME ENTRE REALITE ET FICTION.
Après
vingt ans de vie commune, l'amour ça se vit toujours dans la violence
et les flammes ?
Pour Année et moi, la vie n'est pas un fleuve tranquille, mais
un torrent. Je trouve ça plutot sain. Lorsque vous vivez depuis
vingt ans avec une femme, c'est comme une greffe. Il y a des liens innombrables.
Vous pouvez tirer, ça ne casse pas. Nous avons frôlé
cent fois la rupture, mais quelque chose de plus fort nous a retenus.
Il y a un mouvement perpétuel d'attirance et de rejet.
Les femmes sont des énigmes pour les hommes. La vôtre
en est-elle une pour vous ?
Je connais Année depuis qu'elle a quinze ans et je ne peux pas
dire que ça se clarifie. Je commence à comprendre des choses
simples. Les premières strates. Mais plus je creuse, plus je vois
qu'il y a des choses cachées.
Qu'y a-t-il de si énigmatique chez les femmes ?
Ce sont les femmes qui font fonctionner les choses. Ce sont elles qui
les mettent en marche, donnent l'impulsion, comme si nous, les hommes,
nous avions moins de prise sur le réel. Lorsque ça ne va
pas, Année fait bouger, c'est le cas de le dire, les objets. Deux
ou trois fois elle a pris ma machine à écrire qu'elle a
fracassée par terre ! C'était très bien. Nous sommes
repartis sur le bon pied. Année fait ça de manière
instinctive. Déménager aussi. C'est elle qui décide
qu'il faut quitter maison, ville pays. Moi, je la suis parce que j'ai
l'impression que c'est elle qui sait.
Vos livres sont célèbres pour de torrides scènes
de sexe. C'est le seul moyen de communiquer entre hommes et femmes ?
En tout cas, c'est un passage obligé. L'homme s'y découvre
et si j'ose dire montre ce qu'il a dans le ventre. Il ne peut plus se
cacher derrière de belles paroles. Cela dit, je ne confonds pas
ces pulsions sexuelles avec l'amour. Il y a des relations intenses qui
ne sont pas de l'amour, un besoin incoercible de rencontrer l'autre sexuellement,
ce n'est pas l'amour. Le désir sexuel, c'est quelque chose qui
masque d'autres désirs. A commencer par celui de se connaître
soi-même, peut-être.
Y a-t-il un mystère masculin ?
Je ne comprends plus du tout ce que ça veut dire, être un
homme. Par delà l'interrogation des femmes, il y a une incompréhension
de ce que nous sommes, nous les hommes. J'ai l'impression que les femmes
se comprennent mieux elles-mêmes.
C'est pourquoi les hommes veulent tant "entrer" dans les femmes ?
Oui, pour se trouver à l'intérieur, voir comment c'est,
voir ce qui s'y passe. A chaque fois, c'est une quête de sa propre
personnalité.
Souvent les hommes se sentent insuffisants pour les femmes. C'est aussi
votre expérience ?
Il est très difficile d'arriver à contenter une femme. D'ailleurs,
j'ai l'impression qu'on ne peut pas. C'est comme ça. C'est même
un moteur. Notre condition, c'est l'insatisfaction. Ce qui est sûr,
c'est que "l'autre" - même l'être le plus aimé - n'est
pas votre moitié. Nul ne peut remplir la vie de "l'autre". Il reste
un vide pour l'angoisse.
Voilà pourquoi les hommes ont peur des femmes ?
Je crois qu'on en a peur comme d'un révélateur. A partir
du moment où on a peur de se connaître, peur de ce qui pourrait
être une vérité, alors on a peur des femmes. Avec
Année, j'ai l'expérience d'une femme qui me tend un miroir.
Grâce à elle, l'image que j'ai de moi se clarifie au cours
du temps.
Vous n'avez jamais eu envie d'autres expériences amoureuses ?
J'ai l'impression de mener plusieurs vies avec la même femme. A
chacun de nos déménagements, c'est comme si on recommençait
une vie ensemble. La découverte sexuelle de l'autre, bien sûr
que c'est superbe, mais ça passe assez rapidement. Jusqu'à
l'âge de vingt-deux ans, j'ai eu beaucoup d'aventures féminines.
Je n'en garde qu'une impression de vide et de flou. Année donne
de la réalité à mon existence. J'ai l'impression
d'être tout le temps au bord du vide. Ma femme et mes enfants m'autorisent
à me pencher. C'est-à-dire qu'ils me permettent de vivre.
Tout seul je pourrais me casser la gueule.
Anne Walter pour Marie Claire
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