DJIAN CUL ET CHEMISE AVEC L'ECRITURE

L'HUMANITE - 27 Avril 2000 - CULTURES

ROMAN. Vers chez les Blancs, dernière livraison signée Philippe Djian

L'écrivain continue son voyage en littérature. Un livre fort et raide comme un whisky pur malt où le propos, une fois encore, ne se trouve pas où on l'attend. Un bon cru.

" Un sage montre la Lune, l'imbécile regarde le doigt ", le proverbe est connu, il sévit aussi en littérature. Souvent les regards critiques qui se sont posés sur les livres de Philippe Djian sont restés scotchés sur le doigt qui décrypte la phrase, préférant la surface d'une idée romanesque au halo lunaire qui hante une ouvre véritable. Ainsi l'auteur fut-il taxé d'écrivain branché, pornographe, déjanté, pessimiste, champion de l'ellipse, velléitaire, etc. Qu'importe après tout, les livres se succèdent et les lecteurs qu'on peut bluffer sur un coup, rarement plus, accordent toujours leur confiance au père de Maudit Manège et autre Zone érogène après une douzaine de volumes. Brautigan, Carver, Kerouac, Faulkner ou Melville portent eux aussi le poids de clichés pesants et pourtant... Chantres des petites gens, du quotidien, de la route, du Sud profond, du voyage, etc. L'erreur naît d'un goût pour la facilité, bien sûr, mais surtout de l'oil qui se refuse à laisser place à l'oreille. Philippe Djian, comme tous les bons écrivains, n'est pas un homme de récit mais un homme de sons. Jamais, par exemple, il ne situe géographiquement ses histoires mais les imprègne d'une musicalité toujours particulière. Il parie sur l'émotion et se fout d'une structure narrative qui teinterait de bémols la mélodie d'une phrase.

Son dernier roman Vers chez les Blancs une fois encore bouscule d'un sacré coup d'épaule ces édifices construits à coups de rebondissements qui envahissent les rayons des librairies et sonnent comme une caisse claire à la peau détendue. Toujours Philippe Djian joue du trompe-l'oil. Livre pornographique et réflexion sur la création et le monde littéraire sont clairement annoncés, les amateurs seront servis, le cul et les intrigues éditoriales ne manquent pas. Mais Djian, comme tous les artistes baroques, sait que l'image renvoyée est toujours trompeuse et que les nuages souvent cachent la Lune. L'extrême et la drôlerie des scènes évoquées juste auparavant éclairent d'elles-mêmes. La limpidité et la sonorité achevée de la phrase emportent vers un imaginaire à toujours inventer. L'anecdote s'efface devant l'écho des mots qui touche l'esprit comme une onde poétique avant de ricocher longtemps jusqu'à exciter notre propre capacité, notre faculté à inventer. Et le cour de Vers chez les Blancs n'a rien à voir avec la difficulté pour un écrivain de se lancer dans un texte pornographique, même si la rare réussite de ces derniers prouve l'existence d'obstacles réels sur cette route pavée de vertes intentions, mais bel et bien de concevoir l'écriture et donc la vie après la perte d'un être aimé en l'occurrence la femme du personnage principal. C'est cette immense souffrance, ce déchirement féroce que met à nu Philippe Djian. La vacuité de l'écriture, démarche ô combien personnelle, face au monde et à ceux qui le constituent. Où et comment se positionne " l'écriveur " s'il ne peut vivre sans ses proches ? La question qui hante le livre n'est pas de comment baiser à couilles rabattues mais de comment et pourquoi écrire après la mort de l'autre. Comment continuer à respirer à travers et par le style ainsi que sa quête perpétuelle et infinie alors que tout s'écroule autour de vous ? Questions essentielles auxquelles tout écrivain ne peut échapper. La page blanche n'est pas le souci, seul la traque et la capture de quelques notes de musique poussent le lecteur sur ce chemin rare du plaisir de lire. Seule cette exigence radicale pose le roman comme un astre singulier qui tout au long d'une vie tracera un halo où il fera bon jouer de la mémoire, le reste n'est qu'imbécillité.

Fabrice Lanfranchi

Philippe Djian Vers chez les Blancs ; Gallimard, 385 pages, 125 francs.

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