DJIAN SANS MYTHE

Le 29 Mars 1996
LE MONDE

Philippe Djian, l'écrivain de la génération rock, une canette de bière à la main, un anneau à l'oreille, qui mettrait selon les tenants de la mesure trop de frigos déglingués dans ses romans ! Voilà ce qu'on a souvent dit de lui. En posant à l'auteur de Bleu comme l'enfer des questions intelligentes, vives, parfois rudes, comme pour l'aider à se délivrer de son propre mythe, Jean-Louis Ezine bouleverse cette image. Car Philippe Djian est, simplement, un écrivain. Qui travaille. Beaucoup. Parce qu'il a fait mille métiers, et qu'il a le goût du concret, il a besoin de sentir " la matérialité du texte, la plénitude des mots, la surface bien remplie ". Il dit très bien, avec une humilité rugueuse, qu'on est écrivain par moments, par " petits bouts ", qu'il existe une grâce de la maladresse, qu'on entend toujours un certain rythme vital dans " le rude, le boiteux, le bancal ". Et ce que l'on ressent peut-être le mieux dans les réponses de Djian, c'est cette énergie rebelle, cette envie d'exister tout de suite, qui a bousculé son écriture. Il y a un principe de solitude chez Djian. Pas tout à fait volontaire, pourtant. Car il est entièrement sourd de l'oreille droite. Ce déséquilibre, seule l'écriture parvient à le dissiper : elle remet de l'harmonie, est une musique qu'il essaie de recomposer. Djian parle aussi, avec une justesse parfois véhémente, de son père, de l'amour, de l'érotisme, du Yi-king, le "livre des transformations", de Bram Van Velde qui pleurait devant ses propres tableaux, de la nécessité de suivre sa route, et de son désir orgueilleux de ne " pas être l'écrivain qu'on lui propose d'être ". Il a raison.

JEAN-NOEL PANCRAZI

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