SAINTE-BOB

Sainte-Bob

Gallimard

Philippe Djian, auteur-culte d'une génération, écrivain anti-mondain qui a introduit une atmosphère de série noire dans la prestigieuse collection Blanche de Gallimard, n'a jamais reçu de prix littéraire mais compte ses lecteurs par centaines de milliers. Auteur notamment de Bleu comme l'enfer, Zone érogène, Echine, Sotos et, bien sûr, 37,2 le matin (un million d'exemplaires, traduit en 16 langues et porté à l'écran par Jean-Jacques Beineix), Djian vend en moyenne 80.000 exemplaires par livre. «Je fais partie des rares auteurs en France à écrire depuis vingt ans et à n'avoir pas eu un seul prix», a-t-il dit, sans paraître beaucoup le regretter, à l'hebdomadaire VSD, à l'occasion de la sortie de son dixième roman, Sainte-Bob.

Ce livre, dernier volet de la trilogie commencée par Assassins (1994) et poursuivie avec Criminels (1996), a été tiré initialement à 50.000 exemplaires. 15.000 nouveaux exemplaires viennent d'être réimprimés. Il peut non seulement se targuer d'avoir suscité des vocations mais surtout d'avoir convaincu, dans les années 80, des milliers de jeunes de lire des romans. «La littérature française des ères pompidolienne et giscardienne avait une très légère tendance à sentir le moisi. De l'air! de l'air! avait-on envie de s'exclamer», dit son copain Antoine de Caunes, pour conclure: «Djian est arrivé». «Absence de point-virgule, subjonctifs approximatifs, intrusion du 'malgré que'. Paradoxalement, plus les bien-pensants des lettres mettaient d'acharnement à lui taper dessus, plus ses livres se vendaient».

Si Djian prend des libertés avec la syntaxe, il écrit dans une langue accessible à tous, moderne, électrique et sensuelle. «Un écrivain n'est pas forcément quelqu'un qui maîtrise très bien la langue», fait-il valoir avec un brin de provocation. En 1993, cet autodidacte de 49 ans a quitté l'éditeur Bernard Barrault pour signer un contrat de 3 MF avec Antoine Gallimard (un éditeur chez qui il a été magasinier à l'âge de 16 ans), prenant le risque de perdre l'image de son «énergie rebelle». «Un écrivain, dans mes idées, c'est à peine fréquentable. J'espère ne jamais souffrir de la reconnaissance de mon prochain. La vanité, ça chatouille et on n'en guérit plus. Un écrivain, ça s'appelle Hemingway, Faulkner, Céline et ça possède une grande gueule. Un écrivain, dans mon esprit, c'est marginal, c'est à gauche», a-t-il déclaré en 1996 dans le livre d'entretiens Entre nous soit dit (Plon). Aucune connotation politique dans ce propos: Djian est sourd de l'oreille droite et assure que tous les sons qui arrivent de ce côté lui sont hostiles. Et Sainte-Bob ? C'est le nom d'une rivière qui serpente dans un décor imaginaire. Le narrateur, Luc Paradis, un écrivain raté et séparé de sa femme Eileen, s'est réfugié dans l'alcool quand débarque chez lui une rousse flamboyante, Josiane, la mère d'Eileen. Luc et Josiane vont cohabiter tant bien que mal, dans un marivaudage glauque et sombre.

Comme toujours chez Djian, c'est l'histoire, racontée sur un mode tonique, de personnages désenchantés, aux idées tordues et à la libido désordonnée.

© République Internationale des Lettres numéro 42, Juin 1998

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