EXTRAITS SAINTE-BOB

 
Plus une décision est stupide, plus elle est facile à prendre. Et ensuite, une fois qu'on l'a prise, on a au moins la satisfaction de voir ce que l'on est.

Mais voyez-vous, nous avons l'esprit tellement tordu, nos motivations profondes sont si complexes, si accablantes, que l'on préfère s'en tenir à la bêtise pure et simple plutôt que d'aller chercher plus loin.

Je venais de prendre conscience qu'il était encore temps de tout arrêter. Je sentais que quelque chose en moi chancelait, mais je ne savais pas si c'était par peur des dégâts que nous pourrions causer autour de nous ou de ceux que nous nous infligerions à nous-mêmes.

Moi, Luc Paradis, j'étais en train d'assembler une machine infernale. Et plus effrayant, plus turpide, plus lâche encore que cet engin, il y avait moi, Luc Vincent Paradis, obsessionnel notoire, moins connu pour mes talents d'artificier que pour ceux qui consistaient à conserver l'amour d'une femme.

En me dirigeant vers sa chambre, j'ai de nouveau pensé qu'il était souvent difficile de savoir dans quelle mesure on agissait avec intelligence, et même s'il y avait toujours un bon et un mauvais choix.

Je crois que tu as pour habitude de te laisser couler très vite, comme une pierre, sans jamais atteindre le fond. Personnellement, j'estime qu'il s'agit là d'une vraie force et que tu as appris à t'en servir. Nous savons toi et moi que certaines blessures sont spectaculaires mais qu'elles ne mettent pas la vie en danger.

Il existait, pour chacun des deux récits, de multiples variations qui séjournaient dans la mémoire de mon ordinateur. Tout ce qui n'était pas vrai n'était pas faux. Cliquer. Effacer; coller. J'étais l'inventeur et le maître irascible d'un jeu que mes partenaires ne pouvaient quitter sans mon accord.

En général, toute allusion au fait qu'elle avait démoli ma vie l'incitait à regarder ailleurs. Mais que savait-elle au juste, en dehors du vague sentiment que j'avais dérouillé ? Selon moi, une bonne partie de la gène qu'elle éprouvait à ce sujet venait de là : ne pas connaître l'ampleur du désastre.

Je me suis demandé si je n'étais pas en train de retirer un masque à gaz et de découvrir que l'air était respirable, mais depuis quand !?...

Car je n'avais pas à l'esprit une petite relation amoureuse, le cas échéant, mais quelque chose de plus musclé, quelque chose qui conviendrait à la situation, à toutes les souffrances que j'avais endurées et que j'allais sans doute encore connaître.

J'avais à l'esprit cette image de deux types enchaînés, deux types qui ne pouvaient pas se supporter et dont les circonstances avaient soudé les sorts. Je me demandais si elle éprouvait une sensation du même genre.

Je me demande si tu serais capable de me démolir une seconde fois. Non pas que tu n'en aies pas la volonté, j'entends bien, mais est-ce que ce serait possible d'après toi ? Est-ce que tu pourrais, comme ça, me faire surgir d'entre les morts pour m'occire de nouveau un bon coup, putain de merde ?!

J'aurai pu enfoncer le clou davantage. Mais je ne l'ai pas fait. Rester en dessous de ses capacités procure un vif sentiment de sécurité tout en flattant l'amour-propre.

Il y a toujours une part d'inébranlable chez une femme, un moment où l'on ne joue plus.

Pouvais-je considérer qu'écrire avait gâché ma vie ? Certes, oui. Pouvais-je considérer qu'écrire m'avait ramené à la vie ? Oui, malheureusement. Mais pour me donner quel rôle ? Croyez-vous que je puisse tirer satisfaction de celui que l'on m'accordait ? Pouvais-je m'avancer, le cœur battant d'émotion, vers une quelconque lumière ?

Mais vous savez, il se pourrait que la vie soit un engrenage. Peu importe que vous soyez tiré vers le haut ou vers le bas. Dans un sens ou dans l'autre, il faut beaucoup de force pour inverser le mécanisme, il en faut chaque fois davantage. Ne venez pas me parler de volonté. Venez me parler d'un miracle. Regardez : mes deux mains sont broyées.

Je pensais que certaines choses me révolteraient, qu'il y avait des limites que je ne pourrais pas franchir, mais il ne se passe rien. Par moments, on sent le souffle de la damnation vous raser le dessus du crâne. Mais ça s'évanouit, ça ne reste pas longtemps.

C'était une chose, une chose bien agréable d'humer l'air avec application et d'y percevoir les premiers signes. C'en était une autre de voir la foudre tomber du ciel.

 

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